Boris Raux, une scénographie de l'intime

Publié le par julien lannette

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Dans la plus grande tradition du portrait classique, les portraits olfactifs de Boris Raux jouent à la fois sur le particularisme et le stéréotype. Dans un intérieur, en lumière naturelle, sur une table, reposent des produits de toilette : savon, gel douche, pâte dentifrice ou parfum. Tranches après tranches, ces produits cosmétiques questionnent notre identité. Ils composent une phrase rythmée, une scansion de l’intimité.

Depuis le tout premier, Jeanne en 2007, les portraits sont à la base et à la croisée de ses recherches sur l’odeur. Ils sont aussi son travail le plus personnel. Boris Raux les construit avec générosité et une volonté délibérée d’ouverture sur le monde. Il y mêle tendresse, douceur, nostalgie, pragmatisme et fantaisie.

Au cours de sa résidence à Flers, Boris Raux est parti à la rencontre de la population de la  petite ville. Les portraits naissent de rencontres fortuites ou programmées à l’aide des réseaux socioculturels préexistants. C’est ainsi qu’il s’est invité chez Brigitte, Marie ou Régis à la fois sujet et titre d’une œuvre. Il est devenu leur confident et le passeur de leur intimité. Comme il le dit lui-même, « tout comme l’odeur, mon approche est essentiellement celle de l’infiltration ». Cependant, il se refuse à transgresser une zone-frontière entre intimité et voyeurisme. Ses compositions ne comportent aucun effet personnel autre que ceux directement liées  au registre des odeurs. Il ne cherche à stigmatiser personne, juste à mettre en avant des traits communs. De notre société de consommation, découle une inévitable uniformisation des modes de représentations en terme de genre et de goût.  Cette standardisation est perceptible dans la gamme des produits représentés et pourtant leur somme est inévitablement indissociable du sujet. C’est en cela qu’ils tendent au collectif autant qu’au particulier. Ils sont constitutifs de notre singularité, mais également de notre appartenance à un groupe socioculturel ou générationnel. Il se sert de l’odeur comme point de départ pour explorer le monde qui l’entoure.

Le rendu photographique joue sur l’immatérialité. Il est traité de manière picturale dans la tradition occidentale des natures mortes. À partir d’un mode de représentation systématique, les portraits nous invitent à faire ressurgir nos propres souvenirs et à recomposer une trace olfactive. Il pénètre autant la sphère personnelle des individus photographiés que celle du spectateur. C’est ainsi que des tensions apparaissent. Même s’ils rentrent dans une intimité personnelle rarement autant dévoilée, il se dégage de ces portraits un paradoxal sentiment d’abandon. Le corps, en tant que matérialisation identifiable d’un individu et cible de ces produits cosmétiques, s’est ici évaporé. Peut-être est-ce cette absence qui fait flotter cette série de portraits entre le documentaire et le fictionnel ?

Entre partition et portrait, les captations photographiques rendent compte d’une rencontre, d’une émotion et d’une personnalité.

Ultra-personnels et universels, ces portraits olfactifs renvoient chacun de nous à ses propres références. C’est la trace  tangible que nous laissons dans le monde qui effleure, l’empreinte indélébile qui nous précède et nous prolonge. Devant ces portraits d’inconnus, nous ne pouvons nous empêcher de penser à ce que révélerait notre propre portrait. La grande sensibilité qui transpire de ces compositions soulève la question de l’hygiène, de l’intimité, mais aussi des limites attachées au médium choisi. En prenant le risque de ne pas doubler les captations photographiques d’une présentation in situ des produits cosmétiques, Boris Raux nous invite délibérément à un jeu de piste inconscient. Il fait travailler notre mémoire olfactive autant que notre sentiment et notre ressenti. Il nous oblige à prendre du recul face à des outils cosmétiques qui, même s’ils sont constitutifs de notre identité, disparaissent peu à peu dans une utilisation mécanique et banalisée.

Boris Raux est un artiste atypique qui  place son œuvre au centre des questions qui animent notre société. Il ne joue pas sur le registre de la critique ou de la contestation, mais sur celui du sens et de la retranscription. Il développe des outils de compréhension et de transmission. Il construit des images et des installations qui donne sens à sa vision. Il travaille pour le spectateur et se place systématiquement dans une position de retrait qui redonne à l’artiste son rôle de passeur et sa place majeur au sein de la société.

Avec cette série et sous son apparente neutralité, Boris Raux parvient à percer la part la plus secrète de notre identité. Il fait preuve d’une grande originalité, et en même temps, d’un sens de l’économie et d’une maîtrise rares chez un jeune artiste. C’est en cela que j’ai été touché par son travail et sa personnalité. Il y a ici, en germe, quelque chose de précieux qui mêle talent et sincérité. Comme souvent dans son travail, l’artiste dissimule, sous un rendu lissé, une réflexion dense et une complexité presque scientifique. C’est ainsi qu’il parvient à mettre en place ce que je nommerais, une scénographie de l’intime.


Publié dans le Catalogue de la Résidence de l'Artiste à Flers, Edition de 2009

 

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