Le baiser de l’artiste, article publié dans la Revue Patrimoine Culture d'Europe en 2007

Publié le par julien lannette

Le baiser de l’artiste

Lorsque l’on parle du prix de la culture ou de l’art on interroge notre propre capacité à se projeter dans une sphère à la fois proche et inaccessible. Dans une acception occidentale voulant que  le beau soit universel et accessible en soi, comment taxer cette « immédiateté ». Alors Patrimoine Culture d’Europe propose dans ce numéro de poser la question du prix de la Culture, que la question de la gratuité des musées est au cœur des propositions politiques actuelles, ne devons-nous pas prendre en effet le temps de réfléchir à quel prix sommes nous prêts à investir ou non dans un objet culturel ?

Outre les questions de coût, de budget ou de réalisation, ne peut-on, à juste titre, s’interroger sur ce qui fait le prix d’une œuvre d’art.

 

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Lors d’une récente exposition, l’artiste Gérard Deschamps , a présenté ses Pneumostructures. Il s’agit, de manière brute, de piscines gonflables. Celles-ci, produites à grande échelle, ont été achetées par l’artiste dans les magasins de grandes distributions de notre société de loisirs. Les œuvres proposées à la vente sont donc des objets liés à notre consommation immédiate. Leurs textures, leurs formes, leurs couleurs, n’ont absolument pas été transformées par l’artiste qui ne produit que le geste d’achat et donc de choix.

Son travail, qui questionne notre rapport au monde, aux objets et à nous-même, joue à la fois sur la séduction des couleurs, des formes ou des odeurs. Il interroge cependant à plus d’un titre la question de la valeur des œuvres d’art.

Le spectateur, différencié en cela du collectionneur ou du critique, ne possède pas forcément les codes de compréhension de ce travail. Il peut donc, à juste titre, se sentir, troublé. Il lui paraîtra peu probable, voir scandaleux qu’un particulier ou une institution  achète pour un tel prix des objets manufacturés dont la valeur marchande, sans l’intervention de l’artiste ne coûte presque rien.

Pourtant, sans rentrer dans une analyse critique de son travail, ni même de la valeur historique de ses œuvres, réfléchissons un instant sur le rapport qui existe entre œuvre d’art, geste artistique et valeur marchande.


Le geste, ou le non-geste, de l’artiste peut être compris un acte transcendantal qui agit comme une force cachée, sorte de « deus ex machina ». La production de toute une série d’œuvres d’art éphémères de ce type est balancée par la production d’un certificat ou d’une facture qui lui en donne une existence tangible, une preuve pouvant défier le temps.

Si le certificat peut être conservé comme témoignage, l’œuvre d’art résulte bien de l’interaction entre l’installation de l’artiste et le spectateur. Pourtant le prix de l’œuvre ne prend en compte aucune logique matérielle. L’artiste taxe une réalisation immatérielle, un baiser donné, pour se référer à la performance d’Orlan.

Le travail de Gérard Deschamps nous place de manière tangible devant la question de la transcendance du réel par l’artiste, sa captation, sa réinvention voir même sa redéfinition ou son abstraction.

L’art du XXe siècle s’est, en partie, fondé, depuis Duchamp, sur cette question de la matérialité. Elle élude les deux conception antérieures dominantes, celle du beau et de l’universel. Car un baiser, tout comme une piscine gonflable, ne sont pas beaux (d’un point de vue artistique hérité de l’ut pictura poesis) et leur perception immédiate, justement ne les place pas dans le champ des œuvres d’art.

Le renversement phénoménologique opéré devient geste artistique. Même si on peut lui opposer (qu’il soit plus ou moins complexe selon les exemples cités) une certaine forme de facilité, voir même de supercherie. En effet, qu’est-ce qui nous empêche de prendre nous-même une piscine gonflable et de l’élever au rang d’œuvre d’art ?

La différence primordiale est celle de l’expérience. Nous expérimentons devant les œuvres de Deschamps, non pas la présence physique traditionnelle d’une structure de loisir, mais bel et bien la place de celle-ci dans notre société. L’objet s’il a une valeur sensorielle et « historique » n’est pas primordial dans la construction de l’œuvre d’art. Il pourrait très bien être remplacé par un autre identique. Car il est dans la nature même de ce genre d’objet d’appréhender sa propre finitude. Une piscine gonflable, n’est pas créée pour passer de génération en génération, elle est un outil éphémère de loisir, contraire au geste de l’artiste qui dépasse sa propre matérialité.

Ce qui constitue le prix de l’œuvre d’art n’est donc pas tant la nature de l’objet qui l'identifie comme tel, que la valeur que l’on veut bien donner à un geste artistique qui transforme, accompagne, sublime ou dénature notre rapport au monde.

Je pense que c’est en cela que les Pneumostructures sont exemplaires car il nous pousse à réfléchir encore et encore sur la place du futile, du presque rien dans un monde essentiellement comptable.

Je suis convaincu qu’il est nécessaire de pouvoir encore accorder du prix à quelque chose d’aussi volage que le baiser d’un artiste.


Publié dans julien lannette

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B
<br /> <br /> bonjour et felicitation pour votre article . je n arrive pas a trouver cette revue sur internet pourriez vous me faire savoir comment obtenir cette revue et donc votre article . tres cordialement<br /> .<br /> <br /> <br /> <br />
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